7 août 2011

The India Experience - 5/ The Highway Experience

Premier voyage en Inde, février-mars 2001.

Décollage ici.
Expérience précédente : The Golden Temple Experience.


10 février 2001 - 11 février 2001 : The Highway Experience, de Amritsar (Punjab) à Pushkar (Rajasthan) en passant par Chandigarh (Punjab) et New Delhi (Delhi)

Le Français (pourquoi faut-il que j’aie oublié son nom ?!) souhaite faire un petit détour par Chandigarh. Cette petite ville est célèbre pour avoir été entièrement conçue par l’architecte franco-suisse Le Corbusier, dans les années 50. Fière de cet héritage, elle se targue d'être la ville la plus propre et la mieux organisée d'Inde. Chandigarh n’a en effet rien à voir avec Karachi, Lahore ou Amritsar. On se croirait presque dans la ville d’Edward aux mains d’argent tellement tout est propre, les maisons posées les unes à côté des autres avec une irréprochable géométrie. Pourtant, avec tout le respect que je dois à Le Corbusier, c'est moche ! Nous visitons le Rock Garden, création d’une sorte de facteur Cheval indien : en 1957, Nek Chand s'est mit à produire des petites statuettes dans son jardin. Il en a tant et si bien fabriqué que la municipalité a fini par lui accorder un parc ! Le parc s'est agrandi au fil des décennies, et sa délicieuse anarchie est en parfait contraste avec la rectiligne Chandigarh. Nek Chand parcours sans cesse les lieux pour expliquer son travail aux visiteurs. Nous le voyons à l'œuvre : il semble enthousiaste et heureux.

Mais cette journée m'offre surtout l'occasion unique d’assister au spectacle surréaliste de la circulation indienne vue de l'intérieur. Mon pilote a beau avoir traversé la moitié du monde en voiture, il me jure n’avoir jamais vu ça ! Il est vrai qu’il nous faut éviter de justesse tous les véhicules et créatures qui circulent avec nous sur l’autoroute. Y compris quelques voitures qui roulent à contresens, sans que cela ne semble émouvoir qui que ce soit ! On m’a juré depuis qu’il existe en Inde un code de la route et un permis de conduire, mais je n’y croirai jamais vraiment. La conduite en Inde se limite à une seule règle : klaxonner pour dire aux autres de s’écarter parce qu’on leur fonce dessus ! L’usage du clignotant est quant à lui l’inverse du nôtre : on le déclenche pour signaler au mec qui klaxonne derrière qu’il peut nous doubler sans qu’on lui déboîte en pleine gueule !

Mon ami en profite pour me conter un peu son périple depuis Londres, où il vit. France, Allemagne, Europe de l'Est, Turquie, Iran, Pakistan… En Iran, m'explique-t-il, le prix de l'essence est dérisoire. Le problème, c'est que personne n'a les moyens de s'offrir une voiture ! Plus d'une fois, il s'y trouve en panne d'essence (ou en panne tout court) au milieu de quelque no man's land. Toujours, les Iraniens l'assistent et l'accueillent, sans jamais rien demander en contrepartie. Parvenu au Pakistan, les autorités lui signifient qu'il ne peut voyager qu'accompagné d'un agent de police. Cela d'une part pour sa propre sécurité, mais également pour qu'il ne puisse vendre ou abandonner son véhicule sur le territoire ! Il traverse donc le pays avec un flic, et les deux hommes finissent par sympathiser. Une nuit qu'ils roulent dans la campagne mais alors, m'assure-t-il, au milieu de nulle part, le flic lui demande s'il veut fumer un joint. Mon ami lui répond qu'il n'est pas raisonnable de fumer un pétard avec un représentant des forces de l'ordre. Le flic proteste : « Non, non, maintenant je suis ton ami, tu ne dois plus me considérer comme un policier ! ». Alors le Français lui dit que, ma foi, s'il tient vraiment à lui offrir un joint, ça ne sera pas de refus. Il s'attend évidemment à ce que le Pakistanais ait ce qu'il faut dans ses poches mais non ! Pas du tout ! Le flic lui dit d'arrêter la voiture, descend et disparaît dans les ténèbres en promettant de revenir de suite ! Il faut avoir en tête qu'ils se trouvent déjà à des centaines de kilomètres du lieu de résidence du flic, en pleine cambrousse, et qu'il est deux heures du matin ! Dix minutes plus tard, l'homme réapparaît triomphant, avec un petit morceau de shit dans les mains, qu'ils s'empressent de fumer. D'où ce haschisch provient, mon ami ne le saura jamais… À la frontière indienne, on ne lui impose pas de compagnon de route, mais on lui fait signer une décharge selon laquelle il s'engage à repartir avec son véhicule. Il compte pourtant l'abandonner dans le Tamil Nadu, puisqu'il ne peut rouler sur l'eau pour rejoindre l'Océanie.

La circulation devient particulièrement hasardeuse aux abords de Delhi, mais nous nous en sortons. Un agent de police armé d'une mitraillette nous incendie toutefois : conséquence, sans doute, d'une involontaire entrave à l'inexistant code de la route. Un peu terrifiés, nous baissons les yeux et rétorquons « sorry sorry » à l'incompréhensible charabia qu'il nous jette à la figure. En réponse, il demande en hurlant si « nous avons un problème » et comme nous jurons que non, il nous laisse heureusement filer. En Inde, il faut craindre les flics : c'est une règle immuable et partagée par tous.

Nous trouvons un hôtel avant d’aller nous restaurer. Au retour, trois enfants des rues nous abordent en réclamant à manger, répétant sans cesse « chapati, chapati ». Ils sont petits, quatre ou cinq ans peut-être, et les voir ainsi dans leurs guenilles me convainc de leur procurer quelque nourriture. Je m'arrête à un stand de bananes mais ils ne veulent pas de ça. Ils ont vraiment faim, il faut quelque chose de consistant. En guise de chapati, je leur offre une assiette de riz à chacun. À peine sont-ils servis que vingt gamins du même âge m'assiègent afin d'obtenir eux-aussi un dîner. Mon cœur se fend en deux, mais je ne peux les satisfaire : mon budget m'interdit de les nourrir tous, sans quoi c'est moi qui finirai mon voyage en faisant la manche ! Nous rentrons, poursuivis sans relâche par la horde suppliante. Comme ils s'entassent devant la porte, le tenancier de l’hôtel les chasse à grands coups d’injures, puis me réprimande pour avoir cédé aux trois premiers. Ô sombre indifférence des Indiens, accoutumés à tant de misère…

Mon compagnon de route allant au Sud et moi à l’Ouest, nous nous quittons le lendemain mais avant cela, nous nous offrons tout de même une virée touristique à la Grande Mosquée et au Fort Rouge. Mais ce qui me marque ce jour-là, ce ne sont pas les monuments : c'est l’incroyable enseigne du Dr. Sablok.


(La photographie est de Damien Gouyou-Beauchamps, j'ai eu la chance de la trouver sur internet, via une petite recherche Google.)

Au crépuscule, je m'embarque dans un bus de nuit en direction du Rajasthan. Là-bas m’attend mon désert. La barrière de la langue ne m'empêche pas de comprendre que le mec des tickets me méprise. Il ne cesse de blaguer méchamment sur mon compte avec les autres passagers. Je ne me sens pas vraiment rassuré par cette inexplicable impopularité. J’expérimente pour la première fois les bumpy roads indiennes, qui vous font bondir d’un mètre de haut sur votre siège. Lors d’une pause pipi, le bus repart sans moi (et avec mon sac !). Je parviens à le rattraper en courant. Ce faisant, je manque de peu de tomber dans un grand trou très profond, que les ténèbres dissimulaient. Je le vois alors même que je l'enjambe, louant mon bon karma de cette involontaire précision dans mon pas. Aux alentours de quatre heures du matin, les lumières sont éteintes et tout le monde dort profondément. Je suis moi-même parvenu à m'assoupir, en dépit du clignotant, qui fait bip-bip-bip-bip-bip-bip-bip à chaque fois que le chauffeur s'en sert (c'est à dire tout le temps) ! Ce dernier s'offre alors une petite halte et un marchand de friandises se poste à l'entrée du véhicule. Il se met à brailler, que dis-je, à s'époumoner, dans le but de nous vendre ses merdes ! Son vacarme réveille évidemment tous les passagers. Personne pourtant ne bouge, ni ne montre la moindre intention de lui acheter quoi que ce soit, mais il persiste à hurler comme ça, pendant dix minutes, sans s'arrêter une seconde. En France, le mec qui fait ça se fait lyncher et évacuer à coups de pieds au cul. Mais là non. Personne ne lui achète rien, mais personne ne dit rien non plus. Nul, en Inde, ne se plaint du tapage d'autrui : c'est une règle de courtoisie élémentaire que de ne pas se mêler des affaires des autres. Il ne met un terme à son cinéma, bredouille, que lorsque le bus repart. Mon sommeil aura été de courte durée, et je ne me rendors pas. Autour de nous, le paysage s'est modifié : le désert, enfin !


Prochaine expérience : The Pushkar Experience (Pt. 1).

24 commentaires:

Élaine Germain a dit…

OOoooh, merci! Quelle joie de te lire! J'ai bien rigolé pour le coup des clignotants qui signifient que 'on accepte de se faire doubler! Ton récit est super-captivant, mon Mad, je n'ai jamais voyagé aussi loin qu'avec toi et toute ta (si proche) sensibilité ...

Manoé a dit…

j'aime ton périple cher Sha, les flics sont à craindre dans tous les pays, dernier rempart contre le chaos? (à Mada ils ont des armes et crois-moi le racket existe même si ça ne se dit pas, les chauffeur de taxi-brousse allongent à l'aller et au retour...) j'aime beaucoup ta traversée du désert avec ce flic qui arrive à s'approvisionner en shit au milieu de nulle part, je pense qu'il devait avoir une cachette connue de lui seul...ça nous paraît désertique mais c'est leur biotope, ils connaissent. Ce contrôleur qui te fait la gueule est sans doute jaloux de ta possibilité de bouger, lui, petit fonctionnaire ne pourra sans doute jamais le faire....j'ai beaucoup aimé te suivre!

Mandy RUkwa a dit…

moi j'aurai peur...!

Sigouline a dit…

Passionnant ton périple et raconté d'une manière captivante...

Mandy RUkwa a dit…

en tout cas, chapeau, je lis tes aventures avec passion, Kisss

Mandy RUkwa a dit…

bravo pour tes récits, il est agréable de voyager avec toi, sagement assis devant un écran...Je suis impressionnée!

Patatartiner a dit…

Un voyage en Inde posté le jour de mon anniv'... Un chouette cadeau ! Bon, je vais accepter avec sérénité la circulation parisienne en ayant lue celle de New Delhi !!!

Sandra13 a dit…

Merci d'avoir partagé cette expérience !

TeChn4K a dit…

Toujours autant excellent ! Merci !

Philippe Cubells a dit…

Super mais trop court :) !

Claude Curutchet a dit…

Patience ! et bonne route

Miel Arora a dit…

Mdr ;)

Patatartiner a dit…

Ah oui, le DR Sablok, sexologue, c'est juste énorme :)
Et le policier quêteur de pilon, l'est tout autant ! C'est bien vrai que tu as voyagé sur une terre de contrastes et ton écrit fluide les retranscrit drôlement bien ^^

GIBBON a dit…

Les bumpy roads me rappellent les vieux collectivos ou bus ( américains réformés )du Pérou ... Troués de partout qui frôlaient les précipices... C'était en 1974...

Antoinette Graichy a dit…

Merci Shaomi pour ces récits captivants. Tu as un style attachant qui me fait rêver et qui me fait voyager, merci aussi pour les détails pleins d'humour que j'ai bien appréciés. J'attends impatiemment l'épisode du désert, ça doit être exceptionnel.

Stiane a dit…

Dites moi : comment se souvenir en détail de ce périple ? En ayant pris de notes je suppose.

Lan Prima a dit…

J'avais lu auparavant, il y a longtemps, ton périple chez les Sikhs. Petit détail, le texte (quand il est dense) en noir sur fond blanc, c'est plus sympa et simple à lire (je parle pour mon cas aussi ^^). Je repense à l'histoire de "Couleur 3" (une radio que j'ai écouté en Suisse d'ailleurs) et du bouton, c'est le type d'expériences, j'appellerai cela "la recherche de signes", j'ai l'impression, que l'on fait quand on est fatigué et que l'on a que son paletot pour se diriger mentalement en terrain inconnu. J'ai des souvenirs un peu comme çà, mais pas aussi bien détaillés et rocambolesques comme tes histoires.

nidjitt a dit…

sérendipité, non?
http://fr.wikipedia.org/wiki/S%C3%A9rendipit%C3%A9

Lan Prima a dit…

nidjitt : je découvre un mot. Non, çà ne va pas aussi loin. Les personnes raisonnées appellent çà de la superstition.

L'itinérante a dit…

Toujours chouette à suivre !

Cachoucat a dit…

On partage tes étonnements, tes questionnements, tes hésitations, tes constatations, bref, nous voilà partis avec toi à la découverte, parfois drôle, parfois flippante, de ces codes de vie si différents. C'est 'achement BIEN !!!

Moi Nadia a dit…

oui l'Inde est une sacrée expérience !!!

Priya Goel a dit…

Years back when i use to visit my relatives in India, once i got into my uncle's car, i would duck down my head and praying we dont crash and god bumpy roads yeah you' re in for one hell of a ride!

Lydie Prevost a dit…

On est pas loin d'avoir la même conduite chez nous aussi :)

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