4 août 2015

The China Experience – 11/ The Long Way South Experience

Premier voyage en Chine, septembre-novembre 2002.

Décollage ici.
Expérience précédente : The Ulan-Bator Experience (Pt.3).


02 octobre 2002 – 07 octobre 2002 : The Long Way South Experience, de Oulan-Bator (Mongolie) à Lijiang (Yunnan) en passant par Jining (Shandong), Beijing (Beijing) et Kunming (Yunnan).

Cinq jours de voyage ininterrompu : voilà ce qui m'attend. Mais tout semble plus simple dès que nous atteignons la première gare chinoise. Dehors, les haut-parleurs scandent une musique traditionnelle toute douce, qui confirme que j'ai troqué la terre hostile des Barbares du Nord contre les raffinements de l’Empire du Milieu. Je suis libéré de l'exécrable pop mongole et surtout, surtout du mouton bouilli ! Nous faisons une halte-petit-déjeuner dans la ville de Jining. Brit me raconte avec émotion le jour de la chute du Mur de Berlin. Elle avait alors dix-neuf ans et vivait à Berlin-Est. Elle me décrit les manifestations, sa famille en pleurs devant le journal télévisé, la folie dans les rues, les gens qui s’enlacent. Treize ans après, elle en a encore les larmes aux yeux. Nous reprenons le train en compagnie d’un Mongol ivre et fort sympathique, qui ressemble à s'y méprendre à l’auteur lyonnais Markus Leicht (!). M'étant fait détrousser à la gare d'Oulan-Bator, j'ai dû demander à Brit et Stéphane de m'avancer un peu d'argent, que je leur rendrai dès que j'aurai pu changer des travellers-cheques. Mais lorsque nous parvenons à Beijing, la banque est fermée et il faut attendre deux heures, après quoi nous n'avons plus qu'à nous souhaiter bonne route.

Je fais longuement la queue jusqu'à obtenir un billet de train pour Kunming. Dieu merci il y a une ligne directe, ce qui n'est pas négligeable compte-tenu de la distance (trois-mille-deux-cent kilomètres) et de la durée du trajet (quarante-neuf heures) ! D’ici-là, je dois de nouveau manger et je me trouve un petit restaurant dont le menu est tout en chinois. Je me livre à un petit jeu qui consiste à montrer quelque chose au hasard sur le menu, sachant qu’on est en Chine et que je peux aussi bien hériter d'aubergines que de viande de chien ou de libellules grillées. Tant que ce n'est pas du mouton bouilli ! En fait, on m’amène des tranches d'un étrange et indéfinissable quelque chose. Chaque tranche consiste en une sorte de gelée orange, entourée d’une sorte de pâte verte fluo. Je songe à un fruit peut-être mais ça n’a pas vraiment l’air d’être ça. Je goûte et le goût ne me dit rien non-plus. Ça n’est pas mauvais mais pas vraiment bon, un peu fade à vrai dire. Je mange la moitié de l’assiette et à force, ça devient plutôt écœurant. Alors j’arrête, et songe à renouveler l’expérience du menu au hasard. Mais j’ai quand même vraiment faim alors je scrute ce que mangent mes voisins et comme je vois un machin qui a l’air bon (des légumes et des œufs), je fais comprendre à la serveuse que je veux ça et en effet c’est bon. J’apprendrai finalement, quelques semaines plus tard, que le plat mystérieux n'était rien d'autre que les fameux « œufs de cent ans ». Ensuite, une étudiante chinoise supercute surgit de nulle part, se pose à ma table et entame la conversation dans un anglais parfait. Elle avale en quatrième vitesse un bol de pâtes et file aussi vite qu’elle est apparue, sans doute en retard pour quelque cours de marketing (c’est ce qu’elle étudie). Je monte finalement dans mon train pour Kunming et songe, en m’asseyant, qu’il eut peut-être été plus raisonnable de prendre une couchette pour un voyage de quarante-neuf heures. Je me sens épuisé, voire un peu malade, et le temps risque de me paraître long. Le train toutefois est propre et confortable et advienne que pourra. Après tout ce temps en compagnie d’autres touristes, j’apprécie en tout cas ce petit moment de solitude. Je songe à la Mongolie que j’ai quittée, à l’impression que j’en retire. Un pays magnifique et des gens globalement adorables, mais si rustres en comparaison des Indiens et des Chinois. Par ailleurs, je ne parviens tout simplement pas à comprendre pourquoi ces gens se nourrissent exclusivement de mouton bouilli accompagné exclusivement de pâtes ou de pommes de terres bouillies. Je sais que la terre Mongole est peu cultivable mais enfin il doit tout de même y avoir moyen d'y faire pousser autre chose que des patates ! Et puis ils pourraient aussi manger du poulet, du bœuf, du porc... Et si vraiment quelque diktat d'ordre divin les contraint à ne se nourrir que de mouton, il reste la possibilité de le faire griller, sauter, au four, enfin n’importe quoi mais varier un peu, parce qu’il n’y a pas pire moyen d’anéantir le goût des choses que de les faire bouillir frénétiquement comme ça ! Je prends également le temps de maudire une dernière fois la pop mongole pour faire bonne mesure, et me dis pour clôturer le sujet que c’était tout de même un chouette trip mais qu’il est réjouissant de passer au chapitre suivant de notre escapade ! Je m’assoupis et rêve que je m’installe chez Prince, qui habite dans l’appartement de ma grand-mère. Et comme il me pose la question avec embarras, je lui assure que oui bien entendu je vais faire moi-même ma lessive et mon repassage (!). Au réveil, je m’interroge sur le dernier email de ma princesse indienne, qui souhaite qu’on se marie à mon retour. La chose peut sembler délirante après si peu de temps, mais si l'on remet les choses dans leur contexte (nous y reviendrons), sa proposition fait sens. Mais tout de même, il est peut-être raisonnable d’être raisonnable et de remettre la question du mariage à un peu plus tard. Je médite ensuite sur une histoire bizarre entendue quelques mois plus tôt : un ingénieur du son alcoolique est interviewé, décrit ses journées et par1e de sa dépendance. Le journaliste lui demande ce qu'il écoute lorsqu'il boit et l’ingénieur répond « Juste vous et moi ». Cette histoire me fiche les jetons ! Je reconfigure également mon itinéraire : finalement je laisse tomber le Xixuangbana et décide d’aller à Dali à la place. Je suis bien dans mon train, les paysages qui défilent correspondent à l’idée que l’on se fait de la beauté de la Chine, collines majestueuses dont les sommets titillent les nuages, une série de cartes postales en 3D. Sans explication (je ne saurai jamais de quoi il s’agit), une hôtesse fait un discours très solennel aux passagers et lorsqu’elle a terminé, tout le monde applaudit en souriant et elle sourit aussi et repart et tout cela est tellement bisounours. Ce genre de scènes, je ne sais pourquoi, m’émeut, ainsi que la musique qui filtre dans ce train comme dans les autres. En Inde, j’avais le sentiment de découvrir quelque chose de nouveau. Ici, tout me semble familier et rassurant, j’ai le sentiment en Chine de retrouver quelque chose. Est-ce simplement parce que cette fois-ci je me suis plongé dans la culture de ce pays avant de m’y rendre, le laissant me charmer et me faire rêver des mois durant ? Est-ce quelque résidu d’une vie antérieure (ça expliquerait au moins l’histoire des baguettes le premier jour) ? Je n’en ai aucune idée mais je me sens comme à la maison. La langue aussi est un délice pour mes oreilles… Je suis fou amoureux des sonorités du chinois et je songe que peut-être, un jour, je voudrais bien apprendre cette langue… Finalement je réfléchis de nouveau à ma destination et décide de renoncer à Dali au profit de Lijiang. Il n’y a qu’une seule photo de cet endroit dans mon Lonely Planet, mais elle fait envie ! J’ignore encore l’importance de cette décision. Après quoi j’écris un poème, je me rendors et, malgré la position assise, pionce longuement et profondément.

À mon réveil, le ciel est gris et l’air moite. Dehors, ce ne sont que villes et bidonvilles. Des bidonvilles à la chinoise, bien plus propres et moins misérables que leurs équivalents indiens ou pakistanais mais d'une morosité sans borne. Des heures durant je ne vois pas un seul kilomètre de verdure, c’est comme si les villes se touchaient les unes les autres, sans aucune séparation. Et puis finalement, la campagne réapparaît. De gare en gare, le train se vide et ne se re-remplit pas, ce qui me permet de m’étaler sur la banquette. La petite grand-mère qui est en face de moi semble d’ailleurs apprécier aussi cet espace nouvellement conquis. Comme j'achète deux bières d'affilée, elle me signifie gentiment et en chinois que cela n'est pas bien, et je lui signifie à mon tour, avec un sourire, qu'elle a bien raison mais que bon ben voilà quoi... Je note que nous sommes à Xian Tan et me demande où cela peut bien se trouver sur une carte.

Comme il pleut dehors, je repense à l’année qui vient de s’écouler, aux réussites et aux échecs et surtout aux fêtes. Innombrables fêtes. J'ai longtemps été un party-fiend mais depuis un an, je ressens une certaine lassitude. Pour moi, la véritable fête c’était les interminables répétitions de mon groupe Shoona Sassi, et le reste n’était que cache-misère, une dépendance à la fête, sans goût ni plaisir. Autant de soirées stériles et sans surprises, dont le seul attrait était de noyer mes doutes dans l’alcool, le cannabis et les mondanités. Autour de moi, tout le monde en faisait autant. Qui, parmi ces gens que je retrouvais de fête en fête, n’en était pas aussi las que moi ? Qui s’y amusait encore ? Je crois que chacun ne faisait plus qu’y traîner son spleen. Et voilà tout ce beau monde réuni deux ou trois fois par semaine, terrasse après terrasse, vernissage après vernissage, club après club, appartement après appartement au gré de la soirée branchée du jour, à tant faire semblant de s’amuser qu’on finit presque par s’en convaincre. On rit, on danse, on refait le monde, on gesticule et on sautille. De temps en temps, la douleur que l’on essaie de cacher resurgit, l’alcool aidant. Alors quelqu’un pleure, ou crie, ou s’engueule, ou fait un scandale… Je songe d'abord que tout cela est superficiel, artificiel : une mascarade. Les adversaires de la fête et de la drogue le disent sans cesse mais en fait ils se trompent et moi aussi. Au contraire, tout cela est très réel. Ces fêtes sont d'une impitoyable authenticité. On y voit le meilleur comme le pire. Il y a parfois des moments magiques, de l'ordre du sublime, même. D’autant plus précieux qu’ils sont rares. D’autant plus beaux qu’ils sont inattendus. Au milieu de tant d’excitation, qui sait lire entre les lignes voit tout. Les fêtes font le délice de l’observateur. Il y peut y contempler le spectacle de la jeunesse occidentale moderne, fille ou petite fille de Woodstock et Mai 68, qui n’y croit plus après trente ans de désillusions mais qui ne peut s’empêcher de vouloir encore y croire parce que la société de consommation l’a bercée de cet idéal hippie transformé en argument marketing. Et on a beau lui rabâcher que « rien n’a changé », elle voit bien qu’en fait tout a changé, que le monde est en pleine mutation et que personne n’a la moindre idée de ce qui nous attend. Alors en attendant de trouver quelque clé, quelque moyen de comprendre quelque chose à ce bordel, on se noie dans une mer de sexe, de drogue et d'electro. Je me fais la remarque qu’après toutes ces années, mes fêtes ont fini par se ressembler toutes. Il fut un temps où chaque soirée était différente, avait son charme ou sa particularité bien à elle. Depuis mon retour d'Inde, j'ai le sentiment de revivre la même scène encore et encore. Alors je comprends que j’ai envie, besoin de dire adieu à cette vie-là, de passer à autre chose. Je ne juge personne, je sais que tous ils se cherchent, je sais ce que tous ils ressentent, mais moi je dois m’extirper de tout ça. Voilà. Pause.

Le voyage se poursuit sans accroc. Un groupe de policiers vérifie les billets et demande à quelques passagers d’ouvrir leurs sacs, une hôtesse fait un nouveau speech suivi de nouveaux applaudissements (je décide que si ça recommence encore j’applaudirai aussi). J’analyse le rôle des hôtesses de train : servir l’eau chaude pour le thé, passer régulièrement le balai et la serpillière (tout le monde bazarde tout par-terre), faire des discours qui font applaudir les gens, contrôler les billets, s’assurer que les gens fument entre les rames et pas dans les rames, sourire. C’est déjà pas mal. Un Chinois d’ailleurs m’invite à fumer dans le wagon, et comme une hôtesse de train apparaît au loin, nous nous précipitons en bout de rame, juste à temps. Je m’amuse beaucoup des petits jeux de négoce entre marchands ambulants et passagers. Le marchand déballe ses fruits ou son poulet et en vante les mérites. Alors, tout le monde se fout de sa gueule sur un ton de reproche, l’air de dire que son produit c’est de la merde, que ça ne vaut pas un clou. Bien-sûr, le marchand proteste que ce n’est pas vrai, gesticule et argumente en montrant ses produits sous tous les angles. Alors les clients se détournent et le marchand finit par leur vendre le produit à prix cassé, d'une mine dégoûtée, grommelant sans doute qu'on le vole et qu'à ce prix-là, il ne fait aucun bénéfice… Le train se remplit de nouveau et je dors encore plutôt bien la seconde nuit. Le troisième jour, le paysage est beaucoup plus tropical, les rizières cultivées en strates brillent au soleil. On m’offre une noix, exactement comme une noix française sauf que la coquille est molle, de sorte qu’il est possible de l’ouvrir avec les doigts. En quelque sorte une noix avec une ouverture facile ! La noix du futur, peut-être, made in China.

À la gare routière de Kunming, je trouve immédiatement un bus pour Lijiang. Par quelque bizarrerie, les bus-couchettes sont moins chers que les bus assis. Je découvre avec joie qu'en Chine, on peut se faire servir de l'eau bouillante à peu près partout, ce que me permet d'avaler une sorte de Bolino (par « the noodle expert », s'il vous plaît !). Ce régime est tout de même plus pratique, en voyage, que les biscuits secs que j'avalais par dizaines dans les bus indiens. Le bus tarde à décoller et je me demande si le haut-parleur juste au-dessus de ma tête va hurler de la sorte toute la nuit ou s'il nous sera permis de dormir. Lorsque finalement nous partons, je suis le seul étranger à bord. Très vite, un homme entame la conversation. M. Ma Pingke est un médecin d'une cinquantaine d'années, qui parle un anglais parfait et exerce à Guilin. Il appartient à une minorité, ce qui lui a donné le privilège d'avoir deux enfants plutôt qu'un seul. Son fils aîné est danseur, aussi s'intéresse-t-il tout de suite à mon double statut d'auteur et de musicien. Avec quatre amis, tous médecins, il se rend à Lijiang pour quelques jours de vacances. Très vite, d'autres personnes se joignent à la conversation : une femme de Lijiang, Mme. Li, propose de nous conduire à une guesthouse familiale de sa connaissance (et m'offre gentiment une pomme). Les Chinois, décidément, ont le sens de l'hospitalité. Les routes du Yunnan ne valent guère mieux que celles de Mongolie et je m'avère incapable de fermer l'œil, d'autant plus que je suis pris d'une envie de pisser épouvantable, au point que j'envisage de pisser sur place, dans une bouteille en plastique. Finalement, une halte met un terme à mon agonie. Je me fais la remarque que je suis en voyage depuis trente-et-un jours, et que sur ces trente-et-un, j'en ai passé quatorze, soit presque la moitié, à bord de bus ou de trains. C'est un peu trop, peut-être. Il serait temps, décidément, de faire une halte conséquente. Nous atteignons Lijiang à l'aube, et Mme. Li nous conduit à notre guesthouse. Je suis épuisé mais j'apprécie cette petite marche. Nous traversons la petite colline qui surplombe la ville et je découvre pour la première fois le paysage fascinant que forment les toits de Lijiang, véritable mer d'ardoise. Après quoi je fais connaissance avec les rues pavées, sillonnées de canaux, qui font tout le charme de cet endroit. Dans la vieille maisonnette, on me propose une chambre pour dix yuans la nuit (environ un euro cinquante). M. Ma me laisse ses coordonnées : il voudrait m'accueillir à Guilin, si jamais je passe par là. Comme c'est une possibilité, je le remercie et m'engage à le tenir au courant. Je somnole quelques heures dans ma chambre, goûtant enfin aux joies d'un vrai lit. Sur l'oreiller, il y a des mignons chatons et des papillons. La couette, quant à elle, porte l'inscription « I'll be with you till the end of time, till the sun dries off the see ». Tout ça est de fort bon augure !


Prochaine expérience : The Lijiang Experience (Pt.1).

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