21 novembre 2016

Quelques photos d'Inde : Agra

Photos prises par Aurélia lors de notre voyage à Agra, juin 2015.











































20 novembre 2016

The China Experience – 43/ The Yangshuo Experience (Pt. 3)

Premier voyage en Chine, septembre-novembre 2002

Expérience précédente : The Yangshuo Experience (Pt. 2).
Décollage ici.


18 novembre 2002 – 24 novembre 2002 : The Yangshuo Experience, Yuangshuo (Guangxi)

Cinquième jour. Au matin, je n'y tiens plus. Je téléphone à ma princesse. Je dois savoir de quoi il retourne. Elle décroche et me réponds d'une voix glaciale, très mal à l'aise. Cette froideur, Seigneur ! Il y a des filles qui, lorsqu'elles vous annoncent qu'elles vous quittent, essaient au moins d'être bienveillantes, de prendre des gants pour vous blesser le moins possible. Qui vous signifient au moins que vous avez compté et qu'elles se font quand même un peu de souci pour vous. Là, rien. Elle est brièvement estomaquée lorsque je lui parle du rêve parce que oui, elle m'a bel et bien quitté pour un autre. Je ne suis donc pas fou à lier. Elle se reprend vite, m'assène qu'elle n'est absolument plus amoureuse de moi et très amoureuse de l'autre, qu'elle l'a en effet rencontré très récemment, que sa décision est définitive et irréversible, que je dois l'accepter et que ça n'est pas si grave en fait. Sa voix est cassante, limite méprisante ! Je crois halluciner, ou peut-être parler à une autre femme. Mais non, c'est bien elle. Je ne sais plus trop ce que je lui dis, ce qu'elle me dit, mais nous parlons une heure durant (ce qui entame dangereusement mes dernières économies). Je sais simplement qu'à un moment je lui dis d'un ton très assuré : « Non. Tu ne peux pas faire ça. Tu es en plein délire parce que c'est moi que tu aimes. Je vais rentrer, nous allons discuter et tu vas le quitter. Je suis l'homme de ta vie, tu es la femme de ma vie, tu m'aimes encore, et nous n'avons pas le choix ». Ce n'est pas l'ordre d'un homme possessif : c'est un constat que je fais de l'avenir, une évidence. Elle m'affirme que je suis en plein délire et comme j'insiste, elle campe d'autant plus fermement sur ses positions. Pourtant, je décèle un tremblement dans sa voix. Elle n'est peut-être pas si indifférente qu'elle veut me le laisser croire. Elle se protège. Peut-être. Et elle ose me dire qu'elle est désolée. Ils sont tous désolés, tout le temps. Si elle était vraiment désolée, elle aurait pris sur elle et elle ne l'aurait pas fait.

Résultat des courses : je suis complètement dévasté pour le reste de la journée. Il ne reste rien de la détermination à la récupérer dont j'ai fait preuve au téléphone. Je l'ai perdue, elle m'a filé entre les doigts, définitivement. La douleur se fait implacable. Mon esprit retourne le problème dans tous les sens, je me torture des heures durant. Je voudrais ne pas savoir. Je voudrais que cela ne soit pas. Je voudrais crever. N'importe quoi pourvu que la douleur cesse. Je rêve de m'exiler à jamais dans le désert du Thar, ou du moins de tout plaquer et de vivre à Lijiang. Le flûtiste fou continue de me persécuter. S'il me restait davantage d'argent, je donnerais cent yuans à ce fils de pute pour qu'il aille jouer ailleurs !

Je commence à picoler scandaleusement tôt. J'atterris encore au Happy Star Café. Fou de dépit, prêt à sombrer dans les pires excès et déjà passablement ivre, je branche ouvertement Sunny. Elle me remet gentiment à ma place et je me sens minable de m'être rabaissé au niveau de ces innombrables Occidentaux qui viennent ici sauter de la Chinoise naïve et impressionnable. Un groupe d'une dizaine de touristes débarque, m'absorbe tout naturellement en son sein. Il y a parmi eux une ambiance bizarre. Ce sont pour la plupart des trentenaires. Il y a un Black dont j'ai oublié le nom et un Américain nommé Scott, qui sont vraiment cool. Je leur explique mon drame, ils tentent comme ils peuvent de me remonter le moral. Scott me répète, et va même jusqu'à écrire sur mon cahier : « DO NOT WORRY ABOUT WHAT YOU CAN NOT CONTROL! ». Il a raison : il n'y a rien à faire, en tout cas pas avant d'être en France, alors je devrais me détendre, mais j'en suis franchement incapable ! Je leur expose longuement ma théorie sur les Tabukis, mon sentiment d'être seul au monde, de chercher désespérément mes semblables. Toute cette histoire de Tabukis pourrait prêter à rire, mais ils prennent mes propos très au sérieux. Ils savent qu'ils ont affaire à un homme au bord du gouffre, et se montrent plein de compassion à mon égard.

La plupart des autres membres du groupe sont glauques. Sans raison apparente hormis le fait que la bière coule à flots et que nous sommes tous ivres morts, deux d'entre eux me prennent en grippe. D'abord une jeune Chinoise, qui sort avec un des mecs. Elle décrète que je la trouve irrésistible et ne cesse de venir vers moi en me disant « Je sais que tu veux me baiser, mais je ne t'aime pas ! Je ne coucherai pas avec toi, je ne coucherai jamais avec toi ! ». Elle me répète ça inlassablement comme si je lui avais fait la moindre avance, ce qui n'est pas le cas. Elle est assez jolie à vrai dire, mais il se dégage d'elle quelque chose de tellement morbide qu'il ne me serait vraiment pas venu à l'idée de coucher avec elle, quand bien même elle m'y eut invité ! Bêtement, je rentre dans son jeu, je lui répète à mon tour qu'elle ne me plaît pas, que même si elle me suppliait à genoux je ne coucherais pas avec elle. Elle insiste « Si : tu coucherais avec moi. Je n'aurais qu'un mot à dire. Mais je ne le ferai jamais, jamais ! ». Je m'efforce de prendre cette joute verbale comme un jeu mais rien n'y fait et le ton monte. Le Black me pose la main sur l'épaule et me dit avec une sincère gentillesse : « Tu sais, elle est un peu conne ce soir, mais c'est notre amie, alors tu devrais arrêter de rentrer dans son jeu. Parce que si ça continue on va être obligés de prendre parti, et on sera obligé de prendre parti pour elle, donc de te demander de partir. » Ce n'est pas une menace, juste un constat bienveillant. Je suis sec, mais assez lucide pour comprendre. Je ne réagis plus aux provocations de la fille et elle passe rapidement à autre chose. Après cela c'est au tour d'un type d'une cinquantaine d'année de s'en prendre à moi : une espèce de vieux poivrot, probablement prof d'anglais comme tout le monde à cette table. Il est vrai que je n'ai guère payé que quelques bières au départ, mais j'ai expliqué à Scott et au Black qu'il me restait juste de quoi survivre jusqu'à l'avion et tout le monde était content. Alors qu'il ne m'a pas dit un mot de la soirée, le vieux m'invective d'un coup. Il m'accuse de boire leurs bières sans rien apporter à la soirée en contrepartie, de profiter. Là, je sors de mes gonds, et le lui crie dessus de ne pas me faire la morale. Le vieux, voyant qu'il a dépassé les bornes, n'insiste pas. Là-dessus, Scott me dis gentiment : « Tu n'es pas Tabuki. Tu viens de hurler sur quelqu'un. » Comme je reste stupéfait, il continue : « je ne t'accuse de rien. Je sais que tu essaies d'être Tabuki, que tu y travailles dur et c'est tout à ton honneur. Mais tu n'es pas encore Tabuki, parce qu'un Tabuki n'aurait pas crié sur ce type, peu importe la provocation ». Je ne peux que m'incliner, lui dire qu'il a raison et le remercier de me l'avoir fait remarquer. J'ai beau avoir atteint les bas-fonds du pathétique, je suis encore capable de faire preuve d'honnêteté intellectuelle. Peu après, le bar ferme et tout le monde s'en va. Scott me fourre un billet de cent yuan dans les mains (environ quinze euros). Comme je proteste il me dit : « Écoute, tu n'as presque plus d'argent et tu t'es ruiné pour téléphoner à ta copine, alors prends ça. Moi je gagne bien ma vie avec mon boulot de prof, j'en n'ai pas besoin de ces cent yuans. Toi tu en auras peut-être besoin alors prends-les sans discuter. » Face à tant d'autorité, je m'incline et dis adieu à Scott le sage. Ses cent yuans me seront utiles, comme nous le verrons.

Je me réfugie dans une ruelle isolée. À l'abri des regards, je reste longtemps là à pleurer. J'atterris dans mon lit à six heures du matin et mets longtemps à m'endormir. C'est insupportable d'être dans ce dortoir sombre, entouré de dormeurs, sans pouvoir ni lire ni écrire ni rien faire d'autre qu'attendre le sommeil. Lorsque je parviens enfin à sombrer dans les bras de Morphée, certains déjà se lèvent. Je dors une heure, peut-être deux.

Sixième et dernier jour. Mon réveil est épouvantable et la journée qui suit tout autant. Je traîne ma nausée et ma douleur, j’erre en ville comme un damné. Je n'ai jamais eu aussi mal. Je suis une plaie béante. Je n'imaginais pas, à vrai dire, qu'il fut possible de souffrir à ce point. La rouquine, la jeune fille aux yeux de miel : tout ça était de la pacotille en comparaison.

En parlant de la jeune fille aux yeux de miel, je note qu'à chaque fois que je pars en voyage il faut qu'une meuf vienne me casser mon plane au moment où tout va bien !

Je téléphone à Iris. Je lui dis que je ne vais pas très bien et que je lui expliquerai, lui demande si je peux débarquer le lendemain. Dieu soit loué, elle s'en réjouit et me dis que je suis le bienvenu.

Je me demande que faire des cent yuans de Scott et conçois l'idée d'acheter quelque chose à ma princesse. Un cadeau d'adieu. Un cadeau de reconquête peut-être. Je flashe sur deux petites statuettes : un dragon et un phénix, en pierre blanche. La vendeuse m'explique que l'union de ces deux créatures mythiques symbolise celle de l'homme et de la femme dans ce qu'elle a de plus pur. Ça tombe bien ! J'offrirai les deux à ma princesse.

Je vais aussi dire au revoir à Sunny, et surtout m'excuser d'avoir été lourd la veille. Elle me dit que ce n'est pas grave et me donne son email, mais elle ne répondra jamais au message que je lui enverrai plus tard.

En milieu de soirée, un bus m'arrache à Yangshuo. Je ne me sens pas un poil mieux, mais je suis soulagé de quitter cet endroit où j'ai traversé l'enfer.

Le trajet dure toute la nuit et malgré ma couchette, je ne parviens pas à fermer l'œil. Je m'occupe en écoutant les cassettes de Da Boostemp, que je connais par cœur. Les douze heures de voyage sont un véritable enfer. Je suis en plein délire : j'ai des sortes de flashes relatifs à ma princesse indienne. Des images de vies antérieures. Des images de nous deux autrefois. Des images de l'avenir, de nous deux dans l'avenir. Je ne sais si je suis en train de de devenir medium ou fou. Je commence, toutefois, à entrevoir une lueur d'espoir. Et cette lueur d'espoir, c'est mon intelligence. Je me mets alors, pas à pas, à élaborer un plan.

Ah oui, j'oubliais ! Ce trou du cul, avec lequel mon Indienne s'est tirée. Je l'apprendrai à mon retour : c'est un musicien. Un flûtiste !


Prochaine expérience : The Longest Way Home Experience.

19 novembre 2016

The China Experience – 42/ The Yangshuo Experience (Pt. 2)

Premier voyage en Chine, septembre-novembre 2002

Expérience précédente : The Yangshuo Experience (Pt. 1).
Décollage ici.


18 novembre 2002 – 24 novembre 2002 : The Yangshuo Experience, Yuangshuo (Guangxi)

Troisième journée à Yangshuo. Je me réveille et je ne me souviens pas. Puis ça surgit dans mon esprit. J'ai fait un mauvais rêve, rien n'est arrivé. Puis si. La douleur revient aussi sec, toujours aussi physique. J'essaie de nier, tente de me rendormir mais il n'y a rien à faire. Je ne peux pas nier. Je ne peux pas modifier le réel. Je ne peux pas fuir. Je me lève et affronte mon visage livide dans le miroir.

Histoire d'en ajouter une couche, le ciel est gris, il pleut et il fait même un peu froid ! Troidoublevé.deprime.cn. J'aurais pourtant bien besoin de soleil. Je songe peu à peu aux conséquences pratiques. L'une d'entre elle me rend fou de rage. J'avais trouvé un pur plan taf alimentaire : en gros c'était de la prise de rendez-vous pour une banque, sauf que l'ordinateur composait les numéros, que les gens répondaient genre une fois toutes les quinze minutes (pour des entretiens d'une minute en moyenne). Le reste du temps, nous étions autorisés à lire, et je m'enfilais environ un roman par jour, en raison de six heures de travail quotidien. Les horaires étaient cool et de surcroît souples : comme j'étais payé à l'heure et non au mois, je pouvais ne pas y aller les jours de répétitions, dès-lors que j'annonçais mes absences une semaine à l'avance. Bref, j'avais pour projet de reprendre ce job à mon retour. Mais j'ai refilé le plan à ma princesse indienne qui, elle-même artiste à la dèche, avait besoin d'un job alimentaire. Il est évidemment impensable que je travaille tous les jours avec elle, sachant qu'elle va ensuite baiser avec un fils de pute ! La dignité, la décence voudrait qu'elle quitte le job dès mon retour, pour me laisser la place. C'est ce que je ferais à sa place. Mais au vu de l'égoïsme, de l'absence totale de scrupule dont elle fait preuve (si elle voulait me quitter sans rien me dire pour ne pas me laisser seul dans ma détresse à l'autre bout du monde, la décence eut voulu qu'elle me mente habilement jusqu'au bout, plutôt que de me laisser dans un silence qui révélait tout !), je songe que la garce refusera de lâcher un aussi bon plan et tant pis pour ma gueule si je suis dans la merde ! Je ne veux plus jamais la voir ni entendre parler d'elle, je la qualifie de divers noms d'oiseaux mais au bout du compte, je sais qu'elle va me manquer. Je peux bien être en colère autant que je veux, ma tendresse pour elle est plus forte...

Comment a-t-elle pu me faire ça ? Comment une femme peut-elle affirmer vouloir se marier et fonder une famille avec un homme et deux semaines plus tard se jeter dans les bras du premier venu ? Comment ? Tromper sur un dérapage, passer une nuit avec quelqu'un parce que l'attirance est la plus forte et se ressaisir le lendemain, je peux le comprendre. Mais me quitter ! Après tout ce qui a été dit ! Les êtres humains sont-ils à ce point, pourris, faibles, menteurs, lâches ? Il y a quelque chose de très révélateur, au fond, dans la manière dont cette histoire personnelle me renvoie à un rapport plus large avec l'humanité tout entière...

Je parviens pourtant à trouver, Dieu sait où, la force d'aller un peu mieux. Je passe la soirée au Happy Star Café. Je parle longtemps avec Sunny et plus la bière me monte à la tête, plus je la trouve ravissante. Je ne tente rien, mais Sunny n'est pas idiote et elle finit, spontanément, par me dire qu'elle me trouve charmant et que c'est bien dommage que je parte dans trois jours... Traduction : elle n'est pas une fille facile et, si elle est ouverte à l'idée d'une histoire d'amour, elle ne couche pas avec les touristes de passage. Après ça je retrouve Johnson et ses amis et, je ne sais comment, nous avons une interminable conversation à propos de la patience. Je bois jusqu'à n'en plus pouvoir et me réfugie dans un sommeil libérateur.

Quatrième jour à Yangshuo. Au réveil, même cérémonie que la veille : j'ai oublié, je me rappelle, l'effroi m'envahit...

À peine me suis-je assis en terrasse que le flûtiste revient me harceler avec sa musique de merde (le but du procédé étant de vendre ses flûtes pourries aux touristes). Je ne mesure toujours pas le gag a répétition dont je suis l'objet, ni l'ironie morbide de la coïncidence. En toute candeur, je note : « Putain, ce joueur de flûte me tape sur les nerfs ! Je le HAIS ! ». Je me traîne toute la journée une envie de vomir abominable, qui n'a absolument rien à voir avec ma gueule de bois. C'est juste un dégoût sans borne qui s'est emparé de moi, un besoin de gerber la douleur hors de moi !

La veille, j'ai promis à Johnson de contribuer à l'un de ses cours d'anglais. C'est une séance de perfectionnement, avec des élèves confirmés. Le but est essentiellement de les faire pratiquer dans le contexte de conversations authentiques. Les étudiants sont tous plus adorables les uns que les autres. Une heure durant, je mets un peu mes problèmes de côté et passe un relatif bon moment. Mais dès la fin du cours le malaise revient au grand galop.

Contrairement aux deux premiers jours, la douleur ne s'atténue pas au fur et à mesure que la journée passe, mais au contraire empire. Alors je décide qu'il n'y a que la bière pour me soulager un peu, ce qui d'ailleurs n'est pas faux. Je reprends mon rituel alcoolisé dès l'heure de l'apéro, passe ensuite la soirée à picoler Dieu sait où avec Dieu sait qui en parlant de Dieu sait quoi (je n'en conserve ni souvenirs ni notes). Sur le chemin du retour, une vieille femme me hèle et me demande si je veux un massage, pour cinquante yuans. Compte-tenu de l'heure je me doute bien de la teneur du « massage » en question. Je suis tellement amer, tellement écœuré de tout, que j'hésite une seconde à accepter. Puis je me souviens que je ne fais pas ces choses-là, alors je trace mon chemin.


Prochaine expérience : The Yanghuo Experience (Pt. 3).

16 novembre 2016

The China Experience – 41/ The Yangshuo Experience (Pt. 1)

Premier voyage en Chine, septembre-novembre 2002

Expérience précédente : The Guilin Experience.
Dacollage ici.


18 novembre 2002 – 24 novembre 2002 : The Yangshuo Experience, Yuangshuo (Guangxi)

Et c'est là... que le cauchemar... commence...

Je parviens à Yangshuo complètement épuisé en fin de matinée. Je me trouve une place dans un dortoir d'une demi-douzaine de lits, rempli à ras bords de touristes.

Yangshuo me fait peu ou prou la même impression que Dali : le Lonely Planet dit que c'est un endroit fabuleux, plusieurs voyageurs m'en ont fait les louanges, mais après Lijiang c'est complètement quelconque et sans âme.

Il est temps de mettre les points sur les i. J'adresse à ma princesse un email où je lui fais part de mes inquiétudes et de mon intuition. Je lui demande de me dire de quoi il retourne, de me rassurer ou de m'annoncer une mauvaise nouvelle, mais de ne pas me laisser dans cette incertitude pesante.

J'enchaîne les terrasses et bois des litres de cafés, me sentant somme toute plutôt bien en dépit du bordel qui s'annonce. Dans une semaine à l'heure qu'il est, je serai dans l'avion. C'est très curieux cette idée de retour. J'ai l'impression d'être parti depuis des années. Je me sens si loin de ma vie là-bas... Déjà que j'étais paumé en revenant de deux mois en Inde, ça risque d'être encore pire cette fois-ci ! À la fois, j'ai des tas de projets sur le feu, sans parler de ces problèmes d'appartement à régler dès mon retour ! Histoire de me motiver, je consigne de nouvelles idées : je voudrais bien que Da Boostemp compose un instru electro-bossanova, histoire d'ajouter un titre un peu smooth à notre répertoire. Et puis je repense à la proposition de mon ami Martin Rodde : une performance lecture-duel de L'échelle des anges de Jodorowsky, accompagnée d'un match de catch et d'improvisation musicales. Cette acte de démence, que Martin nomme Martin & ses Antécédants Vs. Madcap & ses Newedenfreaks, aura finalement lieu au ]Kraspek Myzik[ en 2006. Je ne me sens pas encore tout à fait prêt pour cela, mais je me demande ce que donnerait un duo entre nous, étant donné que marier son univers chanson à mon univers electro est à peu près aussi incongru que de prendre Reno Bistan comme guitariste (cf. mon rêve quelques semaines plus tôt). Et à la fois, il y a un point commun entre son travail et le mien : une démesure, une folie douce qui nous caractérise tous deux !

Je bois mon énième café au milieu d'un capharnaüm : U2 d'un côté, une compile Café del Mar de l'autre, et « un connard qui parcourt la rue en jouant de la flûte au milieu ». Cette petite phrase anodine à propos d'un flûtiste chinois prend la couleur d'une ironie douce-amère lorsque l'on sait ce qui va se passer ensuite.

Je continue d'arpenter le quartier piéton bondé de backpackers. On m'aborde pour me louer un vélo, me vendre de l'herbe, me faire un massage (et une pipe avec, sans doute), me montrer des cadeaux-souvenirs, me faire faire une randonnée dans les campagnes alentours et j'en passe... Le coin n'est pas désagréable mais tous ces marchands de tapis me tapent sur le système. Je me demande par quel miracle Lijiang, pourtant très touristique, échappe à ce phénomène.

Installé à une autre terrasse, celle du Happy Star Café, je continue de me shooter à la caféine. Là, je formule pour la première fois l'idée de vivre quelque temps en Asie, d'y donner des cours d'anglais ou de français pour vivre si ma création littéraire ne me le permet pas. Cette idée ne m'abandonnera plus jamais. Je songe aussi que la fille aux yeux de miel m'a quitté parce que je n'étais pas assez léger ni assez indépendant et la rouquine parce que j'étais trop léger et trop indépendant. Je me demande où est la logique dans tout ça... Je me demande aussi pourquoi je suis en train de perdre ma princesse indienne... Je voudrais en tout cas saupoudrer un peu de modération sur ce plat épicé qu'est devenue ma vie. Mais cela est difficilement conciliable avec mon métier d'artiste. L'art ne peut être que sauvage, déchaîné. L'art se doit d'explorer les extrêmes. Mon défi, dans les années à venir, sera de continuer à le faire dans mon travail, tout en cessant de le faire dans ma vie.

Le flûtiste chinois continue de déambuler dans le quartier, comme décidé à me poursuivre d'un bar à l'autre. J'écris cette seconde phrase prophétique, qui me fait hurler de rire avec le recul : « Dieu sait que j'aimerais flinguer ce putain de flûtiste qui vient me casser les couilles toutes les vingt minutes ! ». Si j'avais su...

En lieu et place de tuer le flûtiste, j'entame une conversation avec Sunny, la serveuse du café. Elle a à peu près mon âge. Elle porte un léger blouson de cuir qui lui donne un air un peu rebelle. Pourtant, de rebelle, elle n'a rien. Un peu timide, douce comme une plume, souriante... Elle est belle comme un cœur, je la kiffe mais je ne suis ni célibataire ni libre de rester ici.

Et puis je vais m'écrouler dans mon dortoir et je pionce douze ou treize heures. Dans un rêve, ma princesse indienne m'annonce qu'elle m'a quitté pour un autre. C'est un rêve qui n'a rien de surréaliste, c'est trop criant de vérité pour être ignoré.

Deuxième journée à Yangshuo. Je me réveille aussi minable que si le rêve avait été réel, et rien ne parvient à me libérer de la sensation qu'il l'est. Au cyber-café, néant, pas un mot de ma princesse. Alors d'un coup c'est comme un grand coup de poing dans ma gueule. Le rêve était réel. Je connais ma princesse, elle n'est pas du genre à quitter un homme tout court. C'est comme un hurlement dans les bas-fonds de mon subconscient : « arrête de te raconter des histoires, le rêve était réel ». Il est seize heures vingt-huit. Ma princesse indienne m'a quitté pour un autre. Je n'arrive pas à y croire, moins encore à comprendre comment je puis en être si certain, mais je le suis. J'ignore ce qui se passe alors dans mon organisme, quelle hormone toxique mon cerveau lui ordonne soudainement de secréter mais mon corps est envahi d'une souffrance physique assez indescriptible. Elle m'a quitté pour un autre. C'est bien pire que tout court. Alors je m'écroule intérieurement, anéanti. Ce sentiment dépasse tout ce que je pouvais imaginer lorsque j'évoquais l'idée de la perdre. Tout ce que j'ai pu ressentir les autres fois, avec les autres filles. Ravagé, dévasté, écorché, brûlé vif au napalm.

Comme je reste sans voix devant mon cahier, à relire cette phrase abominable que j'ai écrite dix fois au moins, mon esprit se met à divaguer, irrationnel. Comment croire en quoi que ce soit, en qui que ce soit, comment avoir confiance en l'être humain après cela ? Ce n'est pas comme si notre histoire n'avait été qu'une histoire. Il y a encore trois semaines elle voulait faire sa vie avec moi, me demandait en mariage, exigeait des fiançailles dès mon retour, parlait de porter mes enfants, d'un karma qui nous aurait réunis après que la mort nous ait séparée dans une vie antérieure ! Et puis finalement elle me quitte pour n'importe quel type qu'elle vient de rencontrer ! Je sais même pas qui c'est, ce connard de merde ! Est-ce Seb, le vendeur de chemises ? Non ! Elle ne me quitterait pas pour un putain de vendeur de chemises !

Jamais, en vingt-six ans, je n'avais parlé mariage ni enfants avec aucune fille, peu importe à quel point j'avais pu être amoureux. Jamais je ne m'étais engagé de la sorte et voilà le résultat. Autant de promesses foulée du pied, vas-y que je pisse dessus et m'en vais baiser ailleurs ! Je voudrais pleurer mais je n'y parviens même pas, je suis trop estomaqué ! Les gens n'ont-ils donc aucuns principes, aucune parole, rien qui permette de se fier à eux d'aucune manière ? Je me sens d'un coup seul au monde. Je ne suis pas parfait, mais je m'efforce de faire ce que je dis et de dire ce que je fais. Je voudrais quitter cet asile de fous. Je me sens seul au monde parce que je viens de subir la trahison la plus éhontée de ma vie d'adulte. Mais il y a pire. Je suis seul à Yangshuo. Je suis seul en Chine. Je ne peux pas écumer les terrasses avec mes amis les plus proches pour me réconforter et tenter d'y voir clair. Je suis seul à l'autre bout du putain de monde et j'ai encore une semaine à tirer ! J'ai envie de hurler mais je ne peux pas déballer le pire drame de tous les temps à des inconnus, encore moins leur pleurer dans les bras !

Bref, je suis dans la merde.

Le temps de reprendre un peu mes esprits, j'écris un long mail à ma princesse pour lui faire part de mes sentiments, de mes peurs, de mon engagement. Je ne peux rien faire de plus. Je ne peux pas lui dire que je sais au risque de passer pour fou, juste lui parler du rêve mais seulement comme d'un rêve. Mais je perds mon temps. Je ne peux pas l'atteindre. Je suis tellement épuisé déjà. Je ne crois pas parvenir à la récupérer. Je dois accepter, me faire à l'idée, admettre que tout est foutu. Je me reprends un peu, me dis que je survivrai. J'ai perdu ma princesse indienne. Cette phrase a des sonorités insupportables. Mais je survivrai. Je me jure de ne pas me morfondre pendant des mois. Je me jure de surmonter ça. Je me jure d'être fort, et sage, et... J'élabore tout un tas de théories qui puissent donner un sens au fait de rencontrer l'âme-sœur et de la perdre aussi vite. Je trouve quelques possibles explications. Je me sens un peu mieux quelques instants. Je m'efforce de tenir les promesses que je me suis faites l'autre soir, chez M. Ma. Je me souviens des enseignements d'Ayn Rand et d'Arnaud Desjardins. Faire avec ce qui est. Accepter le réel pour ce qu'il est...

Oh, et puis à quoi bon ? Le réel, c'est que je souffre atrocement. Il sera temps de guérir plus tard. Pour le moment la seule chose qu'il faut accepter, si l'on veut être réaliste, c'est que je souffre atrocement. Le voilà, le réel.

Alors, comme je ne peux pas boire de thé en pleurant dans les bras de mes amis, je bois de la bière avec des inconnus, jusqu'à être assez défoncé pour pleurer et dormir. Je me lie d'amitié avec un jeune Chinois, Johnson, qui enseigne l'anglais. Je passe la soirée avec lui et ses amis. J'essaie de ne pas parler trop de mon problème, quoi que me trouvant incapable de le leur dissimuler. Ils comprennent et s'efforcent avec une relative efficacité de me changer les idées. Nous rions, même. Après leur départ, je m'attarde dans le bar parce que les serveuses ont mis un manga sous-titré en anglais. Je passerai trois ans à chercher à retrouver ce dessin animé, qui sortira finalement sur les écrans français en 2005 : il s'agit de Pompoko. Mais dans le sous-titrage de cette version-ci, les Tanukis sont – allez savoir pourquoi – appelés Tabukis. Je prends l'histoire en route et me laisse complètement happer. À la fin du film, les Tabukis sont contraints de se déguiser en humains, de vivre cachés parmi nous. Un Tabuki soudain en reconnaît un autre dans une ruelle nocturne, reprend son apparence animale, s'en va célébrer ses retrouvailles avec un petit groupe de ses semblables. Dans l'ivresse, cette scène m'émeut en profondeur, me renvoie à la solitude existentielle que je ressens au milieu de la cruauté de mes semblables. Où sont mes semblables ? Où sont cachés les autres Tabukis ? Je sanglote, aussi discrètement que possible.

En quittant le bar qui ferme, je me prends les pieds dans une marche et m'éclate au sol, la tête la première. Je m'explose l'arcade sourcilière gauche. Une semaine avant le départ brutal de la rouquine, je chutai et m'explosai l'arcade sourcilière droite. Une boucle se boucle. Tout le long du trajet vers l'hôtel, seul dans les ruelles désertes, je pleure comme une madeleine en songeant que ma princesse n'est pas une Tabuki et que j'ai tout perdu...

Je nage en plein mélo mais se faire plaquer par une princesse indienne, c'est très Bollywood au fond...


Prochaine expérience : The Yanghuo Experience (Pt. 2).

11 novembre 2016

First We Take Manhattan

Je vous disais l'autre jour que je n'étais pas doué pour les eulogies, aussi je m'abstiendrai cette fois-ci comme les autres et laisserai la parole au défunt. Je suis peu familier de l'oeuvre de Léonard Cohen, que j'ai découvert comme beaucoup de gens de ma génération grâce au (fabuleux) film Pump up the volume en 1990, où le (non moins fabuleux) titre Everybody Knows occupe une place importante. C'est pour ça que je n'ai de Cohen que l'album I'm Your Man de 1988, où figure justement ce morceau. I'm Your Man s'ouvre sur First We Take Manhattan, une sorte d'ego-trip sexy et synthpop totalement inattendu de la part d'un chansonnier folk. Le texte est assez épique et je vous laisserai le découvrir vous-mêmes en dessous de la vidéo. Plus frappant encore, ce que Cohen a déclaré à propos de cette composition : « I think it means exactly what it says. It is a terrorist song. I think it's a response to terrorism. There's something about terrorism that I've always admired. The fact that there are no alibis or no compromises. That position is always very attractive. I don't like it when it's manifested on the physical plane - I don't really enjoy the terrorist activities – but Psychic Terrorism. I remember there was a great poem by Irving Layton that I once read, I'll give you a paraphrase of it. It was ''well, you guys blow up an occasional airline and kill a few children here and there'', he says. ''But our terrorists, Jesus, Freud, Marx, Einstein. The whole world is still quaking.'' ».

Rien à ajouter ^^


They sentenced me to twenty years of boredom 
For trying to change the system from within 
I'm coming now, I'm coming to reward them 
First we take Manhattan, then we take Berlin 
I'm guided by a signal in the heavens 
I'm guided by this birthmark on my skin 
I'm guided by the beauty of our weapons 
First we take Manhattan, then we take Berlin 

I'd really like to live beside you, baby 
I love your body and your spirit and your clothes 
But you see that line there moving through the station? 
I told you, I told you, told you, I was one of those 

Ah you loved me as a loser, but now you're worried that I just might win 
You know the way to stop me, but you don't have the discipline 
How many nights I prayed for this, to let my work begin 
First we take Manhattan, then we take Berlin 

I don't like your fashion business mister 
And I don't like these drugs that keep you thin 
I don't like what happened to my sister 
First we take Manhattan, then we take Berlin 

I'd really like to live beside you, baby 
I love your body and your spirit and your clothes 
But you see that line there moving through the station? 
I told you, I told you, told you, I was one of those 

And I thank you for those items that you sent me 
The monkey and the plywood violin 
I practiced every night, now I'm ready 
First we take Manhattan, then we take Berlin 

Ah remember me, I used to live for music 
Remember me, I brought your groceries in 
Well it's Father's Day and everybody's wounded 
First we take Manhattan, then we take Berlin

9 novembre 2016

Quelques photos d'Inde : Sur la route

Photos prises par Aurélia tout au long de notre voyage à travers l'Inde en juin 2015.
















































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